Écrire des mondes fait penser à un programme. Plus modestement, cela veut dire changer de manière, de ton, d’ambiance à chaque nouveau livre, dans des décors pouvant s’associer à la fantasy, à des univers alternatifs, à une vue personnelle de l’Histoire, au quotidien décrit sur un mode poétique, à un journal de voyage réel ou imaginaire.
Au gré de l’envie, tous ces mondes sont attirants.
Plus ils le sont, plus ils ont de chances de séduire.
Ils demandent donc à être écrits.
Reste la question : à moins d’approfondir un style personnel — il se peut qu’on n’y échappe pas — ou de se cantonner dans un genre, comment se dirige-t-on vers tel ou tel monde ?
Parfois, il faut une étincelle. Mon premier roman, Le complot des mirages, est né en voyant L’affaire Farewell (2009), un film basé sur l’histoire réelle d’un espion qui trahit son pays. Connaissant les faits qui faciliteront l’effondrement de l’Union soviétique, quelque chose me titillait : les deux protagonistes sont censés être à peu près du même âge, or il y a vingt ans d’écart entre les personnages interprétés par Emir Kusturica (l’espion) et Guillaume Canet (qui le devient à ses dépens.) Cette distorsion fictionnelle, peu gênante en soi, m’a suffisamment troublé pour que, sorti de la salle, j’entrevoie une histoire reliant deux personnages inconnus l’un de l’autre, le plus jeune (William) partant sur les traces de l’autre (son grand-oncle décédé.)
Je songe alors à un roman double, chaque chapitre commençant par le journal du mort et se complétant avec l’enquête en temps réel. Ayant fait mes plans, j’entame le roman avec l’histoire de William. Vu l’ampleur qu’elle prend du fait de mon attachement au personnage, j’abandonne l’idée d’écrire le journal, sauf un extrait en tête de chacune des parties — si j’avais obéi à ma première intention, le livre ne serait pas terminé !
Sans omettre de préciser que les motifs d’origine étaient d’une part la tragédie du Tibet depuis son invasion par la Chine et, d’autre part, une sorte de « rêve de Shangrila », il aura donc fallu un film sans rapport avec l’histoire.
Quand es-tu allé, Diamant Fou résulte du croisement de plusieurs idées qui auraient pu déboucher sur des projets différents.
Pink Floyd, d’abord. Entouré de vrais fans du groupe, je découvre un peu tard leur œuvre précoce (la période « Syd Barrett ») qui me promène dans un univers très éloigné de ce que j’en connais. Pour un auteur, la tragédie de Barrett (son dérapage vers la folie) a l’avantage d’être assez obscure, le fanatisme envers Pink Floyd fournissant un surcroît de « pittoresque ».
Puis cette question que tout le monde se pose un jour : si j’avais la possibilité de voyager dans le passé, que ferais-je en premier ? Ma réponse : rencontrer Beethoven… mais à la réflexion, je me contenterais d’apercevoir mon idole pour ne pas risquer de priver le monde de sa musique, voyage bien frustrant !
Enfin, le personnage d’une publicité dont l’apparente fragilité me rappelait les propos d’un étudiant qui se destinait à être clown : un clown est un être sensible, être clown c’est une profession et un état d’esprit. Chaque fois que je voyais ce personnage, je l’habillais en clown.
Un beau jour, ces trois blocs se sont assemblés (Pink Floyd et Syd Barrett, le voyage temporel, un clown), puis le travail documentaire a induit l’idée qu’il y ait deux clowns (car ils fonctionnent par paires) et la possibilité qu’un chat soit un protagoniste de l’histoire (cadeau inespéré !) avec au bout le bonheur d’évoquer les sixties, cette période si riche sur les plans spirituel et artistique.
L’histoire des Chroniques montpelliéraines commence en 1993. Peinant sur une idée de roman expérimental, un ami me dit : pourquoi ne pas commencer par écrire des nouvelles ? L’idée me paraît saugrenue, mais elle fait son chemin, j’imagine un ensemble d’histoires se déroulant le même jour à Montpellier (ou j’étudie la chimie) en me basant sur ce principe : varier autant que possible la forme et le mode narratif d’un texte à l’autre sans m’interdire la parodie, le développement incongru, voire le croisement de plusieurs styles dans une même nouvelle – autant l’avouer, j’étais infecté par la lecture de James Joyce.
Deux années durant, je fais mes plans et réunis du matériel jusqu’au moment de rédiger le texte liminaire.
Ensuite, neuf ans sans écrire, tant l’effort m’a découragé : limité au crayon et au papier, l’essentiel du travail qui consiste à assembler, corriger, revoir et polir un manuscrit est un enfer.
Armé d’un ordinateur, je m’y remets en 2005, les Chroniques montpelliéraines sont achevées en 2010. Mes tentatives pour les faire éditer se soldant par un échec — la nouvelle est peu prisée, je le découvre alors —, j’oublie ce livre et passe au suivant.
Deux romans plus tard, je revois, élime, rabote le texte en vue de le publier, sans argument pour défendre son aspect déroutant que le motif qui présida à son existence : écrire un livre… et voilà cette ode à la ville de mes études et à mes chères lectures en même temps qu’un « roman en nouvelles ».
Et les vrais projets ?
Pour l’instant, c’est assez flou, je mène de front deux idées radicalement différentes sans savoir où elles me mèneront.
D’abord un roman combinant les rebondissements d’une partie d’échecs au plus haut niveau et ceux d’un voyage en Transsibérien à un moment où des tensions internationales laissent entrevoir la possibilité d’un conflit – rien à voir avec l’invasion de l’Ukraine, l’idée m’est venue avant. Une douzaine de personnages (dont des touristes français) seront le véhicule de l’histoire en même temps que le portrait d’une époque qui, hélas, me plaît de moins en moins. Ces derniers temps, je songe à Stefan Zweig déplorant le déclin du monde tel qu’il l’aimait, à Thomas Mann mettant l’Europe en garde contre la montée des fascismes. De moi à ces immenses modèles il y a loin, bien sûr, mais peut-on créer quelque chose de valable sans viser haut ? C’est un pari, et un pari n’est jamais sans risque.
Sans savoir encore quelle ambiance prévaudra (quelles parts d’ironie et de désespoir), je m’imprègne de grands auteurs russes, question de « climat » : Pouchkine, Gogol, Akhmatova, Dostoievski… et comme il faut bien rêver, le récit s’appuiera sur deux moteurs privilégiés de la fiction : une histoire d’amour et… la fin du monde.
En attendant, je ne peux proposer que le titre : Le dragon accéléré.