Le complot des mirages
Roman
Janvier 2010 : son amie partie sur un lointain chantier de fouilles, William s’interroge au sujet d’un oncle décédé il y a peu, dont il ignorait l’existence. Pourquoi avait-il subitement disparu en Inde au début des années 1970, pourquoi l’avait-on retrouvé trois ans plus tard, amnésique, à Hong Kong ?
Pourquoi un neveu inconnu de lui figure-t-il dans son testament ?
Héritant d’un journal illisible, d’un livre aux pages quasi blanches et d’un petit mandala de soie déchiré, William mène l’enquête à Paris. Sa rencontre avec Véra, une jeune femme mystérieuse, l’incite à pousser jusqu’à Hong Kong et en Thaïlande, où son oncle a vécu ses 25 dernières années.
En dépit de révélations brutales (son oncle était sans doute un espion) et de découvertes renversantes (des cousins inconnus), William ne parvient pas à résoudre l’énigme. Il décide d’oublier cette histoire.
Mais une lettre posthume relance sa quête : il s’envole pour le Népal sans autre indice que le nom d’une boutique de fanfreluches. Déçu à nouveau, il s’apprête à repartir lorsque l’éruption d’un volcan islandais, en bloquant le trafic aérien, le cloue à Katmandou.
Commence alors un voyage très différent à travers l’Himalaya, au royaume du Mustang et jusque dans l’immensité tibétaine, un cheminement spirituel et humain où le mythe d’une fraternité secrète se mêlera aux délires de l’Histoire, un trajet périlleux au cours duquel le destin de William se calquera peu à peu sur celui de l’homme dont il cherchait la trace.
Janvier 2010 : son amie partie sur un lointain chantier de fouilles, William s’interroge au sujet d’un oncle décédé il y a peu, dont il ignorait l’existence. Pourquoi avait-il subitement disparu en Inde au début des années 1970, pourquoi l’avait-on retrouvé trois ans plus tard, amnésique, à Hong Kong ?
Pourquoi un neveu inconnu de lui figure-t-il dans son testament ?
Héritant d’un journal illisible, d’un livre aux pages quasi blanches et d’un petit mandala de soie déchiré, William mène l’enquête à Paris. Sa rencontre avec Véra, une jeune femme mystérieuse, l’incite à pousser jusqu’à Hong Kong et en Thaïlande, où son oncle a vécu ses 25 dernières années.
En dépit de révélations brutales (son oncle était sans doute un espion) et de découvertes renversantes (des cousins inconnus), William ne parvient pas à résoudre l’énigme. Il décide d’oublier cette histoire.
Mais une lettre posthume relance sa quête : il s’envole pour le Népal sans autre indice que le nom d’une boutique de fanfreluches. Déçu à nouveau, il s’apprête à repartir lorsque l’éruption d’un volcan islandais, en bloquant le trafic aérien, le cloue à Katmandou.
Commence alors un voyage très différent à travers l’Himalaya, au royaume du Mustang et jusque dans l’immensité tibétaine, un cheminement spirituel et humain où le mythe d’une fraternité secrète se mêlera aux délires de l’Histoire, un trajet périlleux au cours duquel le destin de William se calquera peu à peu sur celui de l’homme dont il cherchait la trace.
Extraits du tome 1
Hong Kong
— Je vous explique. Dans cette clinique, on regroupait tous ceux qui posent problème : opposants, toxicos, immigrants, bref, le concert des gêneurs, et aussi des clients un peu spéciaux qui avaient ces caractères inscrits sur la porte de leur cellule.
— Leur cellule… parce qu’ils étaient emprisonnés ?
— En quarantaine, plutôt, et qu’importe si votre oncle était diplomate ou vendeur de nouilles : s’il était à la clinique, c’était un emmerdeur, et si on le reconnaissait à ces deux caractères, c’est qu’il venait de Chine.
— De Chine ?
— De République populaire de Chine, oui. Pas vraiment une époque bénie pour y faire du tourisme, fit Charlie Wan en secouant la tête.
En observant le petit homme dans le jour déclinant, William restait interdit. L’information nourrissait son hypothèse la plus farfelue.
Thaïlande
Au-delà, dit Sanouk plus gravement, son père avait une tendance à l’introspection. Pour la cultiver, il s’était aménagé une petite pièce au grenier. C’était son territoire, sa chasse gardée. Il s’y enfermait des heures, il était défendu de le déranger. Il écrivait tout en pratiquant une forme de méditation inspirée du zen, sa pragmatique épouse passant le même temps à se ronger les sangs… mais le meilleur de lui-même, déclare le jeune homme en détournant le regard, il l’employait à élever ses enfants comme n’importe quel père, se livrant aussi à des recherches horticoles, se remettant à peindre, un talent longtemps délaissé. Certaines nuits, peut-être pour favoriser l’inspiration, il mêlait les sons du koto au chant des grillons.
Fasciné, William imagine son grand-oncle pouponnant, taillant les fleurs, peignant (il ignorait tout de ce penchant), et comme Sanouk a les yeux levés vers la lucarne, il le voit enfant, un enfant qui attend avec patience, peut-être avec inquiétude, que son père descende de là-haut, ce père que le visiteur devine dans la pénombre, seul avec la lune. Tant de révélations, de nouveauté, de surprises, c’est presque trop… et, non sans brusquerie, Tukata lui masque les yeux avec une serviette.
— Cousin, tu es invité à déjeuner. Si tu dis non, je serai très fâchée !
Extraits du tome 2
Vallée de Katmandou
William considère l’embout du tuyau avec méfiance. Il aspire une minuscule bouffée, regarde le tas de dieux électrifiés à travers la fumée d’aromates. Pour augmenter sa confusion, Elvira reprend sa biographie, comme si une réponse allait germer dans le Bagdad d’autrefois, dans le souk de Kaboul, ou au bord du chemin parcouru avec le quatorzième apôtre qui vit au nord du Cachemire…
— Mon oncle était diplomate, enseignant, traducteur, dit-il, pris d’un léger tournis. Il était expert en plusieurs langues, (…) mais il a disparu trois ans sans laisser aucune trace et le fait n’est relaté nulle part. Quand on l’a retrouvé, il était amnésique.
— Attendez, fait-elle en reprenant l’embout… je crois me rappeler, en effet, un homme d’un certain âge qui m’avait reconnue, mais qui ne savait pas mon nom.
— C’est sans doute lui, s’excite William. Il s’appelait Saint Amour, Pierre Saint Amour.
— Saint Amour ? se récrie-t-elle. Amor santo, ce n’est pas sérieux, quel mortel oserait porter ce nom !
— Je suis sérieux, Elvira ; d’autant plus sérieux qu’il est mort.
La paupière inférieure de l’épicière monte si haut que le fard avale le bleu étrange de ses yeux, lui donnant un air suspicieux, voire méprisant ; mais William soutient avec détermination le regard de cette femme qui est le lien nécessaire entre les deux voyages de son grand-oncle au Népal (…). Alors Elvira, baissant un peu la garde :
— Si nous parlons bien de la même personne, il voulait voir un de mes associés, disparu comme je l’ai dit, pour savoir si quelqu’un avait pu revenir par la piste des kiangs… mais moi, hermoso, je ne servais que de relais, et peut-être d’alibi.
— La piste des kiangs ? répète William.
— Eh oui, souffle-t-elle, les yeux à présent exorbités de façon grotesque.
Himalaya
Des falaises arborées semblaient interdire l’accès vers le nord. Entre ces murailles, la piste empruntait des passerelles suspendues trente mètres au-dessus des eaux hurlantes. Là où le limon s’était amassé, des hameaux se chauffaient au soleil, puis jaillissaient de longs câbles métalliques, autre passerelle, autre vertige menant à un sentier taillé dans la paroi où on passait difficilement à deux. Dans un défilé où la brume se dissipait, un panneau signala l’entrée dans la Région Administrative du Mustang. Au sud, on voyait encore une rizière, des bananiers, des toits de chaume dans la végétation touffue. Au nord, les pins s’accrochaient aux pâturages inclinés qui barraient la vue (…)
Les aspects souriants du monde indien s’arrêtaient net.
Sans être prospères, les villages n’étaient pas pauvres, contrairement à l’image que donnent certains quartiers de Katmandou. Les enfants venaient à la rencontre des voyageurs avec des mots d’anglais. Sweets ? School pen ? William n’avait pas songé à se munir de bonbons ou de stylos, et le trajet se poursuivit sans autre bruit que l’âne qui brayait et le mari qui sifflotait (dans les passages étroits, leurs échos mêlés agaçaient l’épouse.) À l’approche de la nuit, on monta le camp sur un plateau brumeux semé de blocs de granit. Selon l’habitude mise en place, le sadhou pouvait répondre aux questions que William stockait pendant la journée. L’avantage de la formule, c’est qu’il n’en gardait que l’essentiel. Pour la plupart, les réponses le satisfaisaient. Sinon, elles engendraient d’autres questions. Souvent, ça valait mieux qu’une notice touristique :
— C’est ici que la lame de Kali s’est enfoncée. Sans les nuages, tu verrais par là la Déesse des moissons, et par là la Montagne blanche.
Lo Mantang, royaume du Mustang
Appuyé sur un coude, William regarde l’anthropologue… non qu’elle soit soudain devenue attirante, mais le nom qu’elle a prononcé a pour lui une aura si mystérieuse… un je-ne-sais-quoi d’inaccessible.
— Oui, jeune homme, j’y suis allée, dit-elle bien qu’il ne demande rien. Sachez que si je m’intéresse au Mustang, c’est parce qu’on ne m’autorise pas à retourner là-bas (…) mais revenons à votre devinette, William. Cette piste des kiangs, serait-ce un chemin de grande randonnée ? (…)
— Si je vous le demande, c’est… parce que j’en sais rien, justement. Oh, attendez… attendez, j’ai peut-être un… un indice.
William vide son gobelet (le septième s’il a bien compté) avant de s’allonger sur le flanc en tournant le dos à l’assistance. On dirait qu’il se roule par terre.
— Il est knock out, murmure Redmond. Il ne doit plus boire.
— Chut ! reprend William en exhibant l’objet qu’il a sorti d’une poche. Attention, unique au monde… et c’est à moi… qu’on l’a donné. J’ai cherché partout, partout, il n’y en a pas d’autre, nulle part… même pas à… à Katmandou.
— Montre voir, fait Serge qui chausse des lunettes. (…) Oh, soie naturelle… chinoise, je dirais… mais ça, là, qu’est-ce que… c’est toi qui l’as déchiré ?
Dubitatif, Serge passe le petit mandala à Irène, qui est tout aussi étonnée par le curieux schéma au centre du diagramme. Jésus, d’où ça sort, fait Emiliano ébahi — fin connaisseur, il n’a jamais vu le mandala qu’il montre à Dorje Sherpa. Au tour du milliardaire de tendre l’objet entre ses doigts de gants avant que Yoko l’examine.
Davantage que les autres, la Nippone est frappée de stupeur.
Près du mont Kailash
En dépit du pauvre éclairage, l’air ébahi de William n’échappe à personne. La piste des kiangs ? Voilà quelque chose qu’il avait mis de côté, comme le mandala, comme Lhassa Dreams. Il ne s’en était pas ouvert aux deux ermites avec lesquels il avait traversé l’Himalaya, ni à Serge, l’archéologue marseillais. En vérité, il n’y pensait même plus. Quand a-t-il parlé de ça ? La soirée arrosée… l’ivresse fait dire ce qu’on a sur le cœur. L’ennui, c’est qu’on ne se souvient de rien.
— Je ne crois pas au hasard, fait la petite voix de l’Indien. Il y a forcément une raison à sa présence, qu’il en soit conscient ou pas.
— Et c’est pas tout le monde qui a ça, dit l’Australienne en exhibant son propre mandala déchiré.
— Certes, enchaîne le géant, mais il faut savoir que des symbolons manquent à l’appel depuis très longtemps. Bien que nous ne perdions pas l’espoir de revoir leurs possesseurs, nous craignons davantage que les cartes soient mal utilisées. D’où ma question, William : comment t’es-tu procuré la tienne ?
— On la lui a donnée, anticipe Yoko. C’est… ce qu’il a dit.
— C’est bien possible, admet le géant, mais une carte ne peut être reçue qu’en pleine connaissance de son usage.
— Je l’ai trouvée, bredouille William.
— Trouvée ! fait le géant à voix basse, l’œil redoublant l’exclamation.
— Elle… elle appartenait à mon oncle. Enfin… je crois.
— Et l’ayant « trouvée », tu es allé au pays de Lo sans avoir aucune idée de sa valeur ? Ignores-tu donc que si ce petit morceau de soie tombait entre les mains d’une personne mal intentionnée, il vaudrait plus que tout l’or du monde ?
La lumière huileuse donne un aspect de suie aux visages. Sentant grandir la pression, William se pince à nouveau… le volcan, les ascètes, le coup de fil à Véra. Dans le même temps, on entend des voix se rapprocher — des voix masculines, quelque part dans le hameau.
Extrait du tome 3
— Où ai-je commis cette erreur, je l’ignore, dit calmement Montagne. Je dois donc rebrousser chemin sur une assez grande distance. Si je ne suis pas revenu dans trois jours, tu partiras sans moi. (Le sol se dérobe sous les pieds du Voyant…) C’est le Tibet le plus sauvage : si la piste ne le traversait pas, nul n’aurait l’audace d’y aller. (L’horizon s’enfuit comme un oiseau qu’on effraye…) Quoi qu’il arrive, veille sur la carte comme sur ton troisième œil. C’est elle, tu le sais, qui t’a désigné pour cette grande mission, pas le hasard. (…)
Le Voyant observe son guide, abasourdi. La raideur avec laquelle le géant s’exprime ne laisse aucune place au doute.
— Sommes-nous loin ? dit-il, la langue sèche.
— Six à dix jours, ça dépend de vous. Je vous laisse toutes les provisions, il faudra vous débrouiller avec.
— Mais… mais toi seul connais ce pays, comment allons-nous faire ?
Le géant se retourne. Il s’accroupit et prie le Voyant d’en faire autant ; dit avoir laissé un indice à chacun de ses compagnons. Ce protocole va de pair avec l’usage des symbolons, l’employer signifie « danger », et il n’y a pas d’alternative. Qui détient le premier indice sait à qui passer le relais — pas le second, ni aucun autre. Chacun ne dispose que d’un mot, l’ensemble forme la phrase.
— Je comprends, fait confusément le Voyant… nous dépendons les uns des autres.
— Tu vois juste, comme cela t’est naturel. Le dernier indice trouvé, vous serez près du but. Vous devrez alors préparer les symbolons.
— Et quel est… mon indice ?
Montagne répond en quelques mots, puis il trace un schéma sur le sol. Son vis-à-vis, les yeux écarquillés, n’en comprend pas le sens.
— Tu es le Voyant : tu sauras.